En route vers l’aventure, notre petite tribu compte toujours un membre un peu particulier, mais ô combien précieux : mon mari, Adrien. Depuis plusieurs années maintenant, il vit avec une invalidité reconnue en catégorie 2, due à une affection neurologique chronique. Ses capacités de déplacement sont limitées, mais son goût de la découverte reste intact. Et nous, autour de lui – moi, Pauline, notre fille de 9 ans, et notre adorable toutou – nous formons cette mini-expédition familiale attachée à rendre chaque voyage possible, apaisé et surtout, joyeux.
Voyager avec une invalidité impose quelques ajustements. Parfois déroutants, souvent enrichissants. Cet article, c’est un peu notre carnet de bord, rempli de conseils testés sur le terrain, d’astuces bienveillantes et de ces petits détails qui changent tout. Que vous prépariez vos premières vacances inclusives, ou que vous souhaitiez simplement faire plus de place à tous dans vos projets, j’espère vous offrir ici un guide à la fois utile et inspirant.
Préparer sans surcharger : s’organiser intelligemment
Tout démarre bien avant le départ. Pour nous, cela commence par une planification méticuleuse, doublée d’une belle dose de flexibilité. Car si vivre avec un handicap peut parfois déconcerter, rien n’empêche d’anticiper intelligemment.
- Choisir une destination adaptée : Nous privilégions toujours des lieux avec un minimum de relief, des infrastructures accessibles, et un climat modéré. L’an dernier, par exemple, Annecy fut notre coup de cœur : entre le lac et la vieille ville, les rampes, ascenseurs et trottoirs larges ont tout simplifié.
- Consulter les avis d’autres voyageurs : Rien ne vaut une expérience vécue pour détecter les pièges à éviter. Je me perds souvent dans les forums spécialisés et les groupes Facebook, où les échanges sont d’une richesse folle.
- Vérifier les hébergements de façon pointilleuse : Des termes comme “accessible PMR” sont parfois utilisés à tort. Je téléphone systématiquement à l’hôtel ou à la location pour poser mes questions très concrètes : ascenseur assez large ? Douche de plain-pied ? Places de parking à proximité ? Un petit coup de fil vaut mieux qu’une grosse déception.
Et puis, je laisse toujours volontairement des plages de repos dans notre planning. Quand on vit avec une fatigue chronique, pouvoir ne rien faire est aussi précieux que n’importe quelle visite.
Transport : penser confort et prévoyance
Voyager, ce n’est pas seulement arriver quelque part, c’est aussi (et surtout) le chemin. Et avec un handicap, ce chemin peut vite se transformer en épreuve… sauf si on prend les bonnes précautions.
- Train : Nous adorons le train. Grâce au service SNCF Accès Plus, Adrien est accueilli dès l’arrivée en gare et accompagné jusqu’à la place réservée. Ce service est gratuit, mais à réserver au moins 48 heures en avance.
- Voiture personnelle : Dès lors que nous partons dans des endroits difficiles d’accès, notre voiture équipée reste un choix idéal. Elle permet aussi d’emporter plus facilement fauteuil, coussins de maintien et médication.
- Avion : Une fois par an, nous tentons de nous envoler plus loin. Là encore, anticipation et communication avec la compagnie sont essentielles. Mentionner l’invalidité dès la réservation permet d’activer les bons services d’assistance, tant à l’aéroport qu’en vol.
Un détail tout bête, mais qui change la donne : toujours avoir une petite fiche sur Adrien (pathologie, numéro d’urgence, prise médicamenteuse) dans mon sac. On ne l’utilise (presque) jamais, mais c’est rassurant.
Sur place : explorer à notre rythme
Une fois sur le lieu de vacances, il s’agit d’imaginer une routine fluide, ni trop exigeante ni trop figée, dans laquelle chacun trouve sa place.
- Emporter son autonomie : Quand nous avons prévu de marcher longtemps ou de visiter des zones très étendues (un site historique, un parc naturel), nous prenons le fauteuil roulant électrique pliable d’Adrien. C’est grâce à lui qu’il a pu admirer les calanques de Cassis sans souffrir le martyr.
- Alterner les activités : Une journée de musée suivi d’un goûter tranquille au bord de l’eau ; une demi-journée de bateau suivie d’un gros dodo réparateur. Rythmer ses journées en intégrant des pauses permet d’éviter les effondrements (physiques et émotionnels !).
- Jouer avec la météo : Le soleil est un facteur de fatigue supplémentaire. Nous programmons donc les sorties actives tôt le matin, et réorientons l’après-midi vers des activités plus douces : lecture à l’ombre, cinéma en famille, ou jeux de société dans le gîte.
Tout cela peut paraître très cadré, mais en réalité, c’est cette structure qui nous donne la liberté de vivre, de rire… et d’être dans l’instant.
Ce qu’on met dans nos valises (et qu’on n’oublierait pour rien au monde)
- Une trousse médicale complète : les traitements quotidiens, bien sûr, mais aussi un double que je garde séparément, au cas où. Adrien emporte aussi ses documents de prise en charge, au cas d’hospitalisation ou d’urgence à l’étranger.
- Un coussin ergonomique : indispensable pour les longs trajets ou les assises douteuses de certains restaurants…
- Un chargeur portable pour ses aides électroniques (télécommande de fauteuil, GPS adapté).
- Un petit carnet où il note ce qu’il ressent : douleur, fatigue, émotions, les jours « avec » et ceux « sans ». C’est un outil d’auto-surveillance mais aussi un prétexte à l’échange.
- Et enfin… une boîte de chocolats ! Un rituel aussi symbolique que pratique : pour panser un coup dur, offrir un moment à partager, ou simplement remercier les âmes aidantes rencontrées sur la route.
L’accueil des autres : entre moments de grâce et maladresses
Voyager avec une invalidité, c’est aussi affronter le regard des autres. Et parfois, il peut être maladroit, voire intrusif. Mais souvent, il se transforme en une main tendue, un sourire sincère, une attention précieuse.
Je me souviens de cette vieille dame en Italie, voyant Adrien lutter dans un escalier, qui nous a ouverts les portes du jardin privatif de sa pension pour « couper plus vite » vers le centre-ville. Ou de ce restaurateur à Rodez, qui a mis en pause son service pour réaménager sa salle en une version fauteuil-friendly.
Les enfants aussi sont naturellement curieux et sans filtre. « Pourquoi il marche pas bien ton papa ? » a demandé un petit Breton à notre fille, l’an dernier. Sa réponse ? « Parce que son corps en a décidé ainsi. Mais son cœur, lui, il saute partout ! ». C’est là toute notre force.
Nos petits bonheurs inattendus
Il y a dans cette expérience bien des contraintes, bien sûr, mais aussi de ces joies inattendues que l’on ne goûte que quand on regarde le monde depuis une autre perspective.
Une balade au ralenti devient une vraie exploration sensorielle. Les escapades courtes sont plus intenses, plus vues, plus ressenties. Nos vacances ne sont pas remplies de « must see », mais de souvenirs lumineux : mains jointes sur la plage d’Hendaye au lever du soleil ; fou rires dans une route de campagne bloquée pour travaux ; ou ce moment où Adrien s’est endormi dans les bras de notre fille lors d’un spectacle de rue, complètement apaisé.
En acceptant de respecter son rythme, nous avons appris, tous les trois, à savourer plus doucement. Et parfois, moins, c’est vraiment mieux.
Ce qu’on aimerait dire aux familles concernées
À vous, familles dont l’un des membres vit avec une invalidité – visible ou invisible – sachez que voyager est encore et toujours possible. Différemment, oui. Mais pas moins richement. Les choses prennent plus de temps, certes. Certains jours seront éprouvants. Mais le monde reste à la portée de vos rêves, si l’on sait écouter, adapter… et sourire un peu plus fort les mauvais jours.
Et surtout, ne culpabilisez pas de ralentir, de dire non, d’adapter. Ce n’est pas renoncer : c’est réinventer. Les enfants aussi y gagnent une tendresse, une conscience aiguë de la solidarité, et une capacité infinie à transformer les embûches en jeux.
Alors à tous ceux qui hésitent encore à faire leurs valises : n’attendez pas le « moment parfait ». Il ne viendra peut-être jamais. Mais les moments imparfaits, eux, sont souvent magnifiques.

